[Article Expert] Tourisme durable et crise sanitaire : une conjonction historique ?
Découvrez le tourisme durable via le regard de Thomas Deschamps, directeur de l'Observatoire, du tourisme et accessible à l'Office du Tourisme et des Congrès de Paris
La disparition totale des touristes pendant la crise pousse à repenser la notion de tourisme. Mais cela sera-t-il un mouvement de fond ?
La crise sanitaire mondiale provoquée par l’irruption du COVID-19 a entre autres abouti provisoirement au tarissement total d’une ressource que l’on croyait inépuisable compte tenu de sa croissance régulière, le Touriste.
Pourtant, les crises de fréquentation touristique ne sont pas nouvelles dans les grandes villes touristiques. Provoquées par des événements géopolitiques ou culturels (attentats, revendication d’autonomie etc.), sociétaux (rejet du tourisme, revendications sociales etc.), naturels (ouragans, crues, canicules etc.) ou encore économiques (crise des subprimes, éclatement de la bulle internet etc.), ces crises n’ont pas entamé la résilience des grandes villes. La résilience provenant autant d’une attractivité économique que culturelle leur permettant de se réinventer.
À chacune de ces crises, le Touriste a mis plus ou moins de temps pour revenir. Mais il est revenu. Changé par la crise traversée ? Intégrant toujours de nouveaux paramètres, le Touriste est un reflet de son époque, se construisant au fur et à mesure des périodes et des lieux avec l’évolution des modes de consommation. Donc oui, il est toujours revenu changé. Mais comment la crise du COVID-19 changera-t-elle le tourisme urbain cette fois-ci ?
Après la crise sanitaire : une nouvelle ère ou la suite de l’Histoire ?
Avec la disparition totale des touristes, les professionnels du tourisme ont été très sévèrement touchés par cette crise. Leur premier réflexe de survie sera sans doute de revenir au « business as usual » afin de sortir la tête de l’eau le plus rapidement possible.
Et les touristes ? Auront-ils changé ? Eux aussi dans un premier temps reprendront leur vie normale, celle dont ils avaient parfois marre avant la crise et que le tourisme aidait à agrémenter. Certaines destinations tablent même sur un « tourisme de rattrapage » ou « revanchard », espérant que le touriste souhaitera rattraper le temps perdu après ces deux années frustrantes pendant lesquelles le virus l’aura privé de voyages.
Mais les touristes comme les professionnels du tourisme ont-ils pris conscience que le secteur et les pratiques devaient évoluer ? Que sous peine de saturation des espaces et d’un tourisme hors sol, déconnecté de la ville et ses habitants, les choses devaient changer ?
Ce qui est sûr c’est que la crise est un catalyseur. Dans leur vie quotidienne, les consommateurs comprennent de plus en plus que chacune de leurs actions peut devenir un levier pour minimiser la destruction de la planète. Le COVID-19 est le résultat de nos erreurs, un symptôme de notre égarement et les consommateurs l’ont appris dans la stupeur, l’étonnement et parfois la douleur. Le tourisme étant une composante de la consommation moderne, il devrait suivre ce chemin vertueux tracé par les touristes consommateurs eux-mêmes.
Mais le tourisme se construit également en réaction à un mode de vie qui n’évolue pas toujours aussi vite que la consommation elle-même, et qui peut parfois rester stressant. Aujourd’hui la moitié de l’humanité vit dans une ville, et la ville comme terrain de relaxation face à un mode de vie stressant peut devenir un choix de moins en moins évident si elle ne prend pas un nouveau visage. Les étés à l’ombre du COVID voient les touristes déserter les grandes villes au profit d’autres types d’espaces moins risqués sanitairement. Si cette situation ne s’inscrira vraisemblablement pas dans le temps, elle laissera sans doute des traces.
Alors que faire ?
Face à ces influences contradictoires, où faire porter les efforts ? Si les années à venir verront sans aucun doute des changements dans les demandes des touristes consommateurs, ces changements ne seront pas anodins. Ils seront même d’une portée qu’aucune crise n’aura jusque-là révélée. Les villes touristiques ne s’y sont pas trompées et voient dans le tourisme durable un sujet de nature à renchérir leur message rassemblant des acteurs très divers autour d’une nouvelle idée de la destination. Penser à la planète lorsque l’on accueille un touriste certes, mais aussi penser à ce que peuvent en retirer les habitants, à faire du touriste un meilleur contributeur de l’économie urbaine et non pas juste un consommateur qui s’approprie un temps un bout de la ville et puis s’en va. Le tourisme durable est peut-être le premier sujet aujourd’hui qui pour les gestionnaires de destinations touristiques urbaines permet de parler en même temps aux habitants, aux professionnels et aux touristes.
Certaines villes, et Paris est en pole position sur ces questions, ont décidé de rééquilibrer leur développement urbain pour le rendre durable : par un partage de l’espace public entre les piétons, les voitures et les mobilités douces ; en donnant une place plus grande à la nature et à la biodiversité et rendant ainsi la ville plus accueillante et vivable pour tous ses usagers, au point que l’association entre écotourisme et milieu urbain pourrait représenter une nouvelle façon de valoriser le territoire ; en réfléchissant à la ville du quart d’heure, mettant à peu de distance les unes des autres toutes les activités pratiquées par les citadins (travailler, éduquer, se cultiver, dépenser, s’amuser etc). De plus en plus d’habitants de villes dans le monde expérimentent ces nouvelles tendances des villes d’aujourd’hui et de demain et l’intègreront dans leurs pratiques touristiques.
En revanche, pour les professionnels du tourisme le paradigme est autre : changer de process, de façon de gérer le personnel et les approvisionnements, de diversifier ses clients afin d’être plus résilient, de s’ouvrir sur le quartier etc, ne se fait pas
sans mal et sans effort. II faut donc pousser à passer à l’action en les convainquant que changer c’est se mettre en phase avec leurs futurs clients. Leur proposer des solutions pragmatiques, clés en main, afin de leur faciliter la transition vers un nouveau modèle. Beaucoup de solutions existent déjà quand d’autres nécessitent encore d’être inventées, individuellement et collectivement. Les informations pour faire évoluer les mentalités sont disponibles, mais pour beaucoup encore elles nécessitent d’être décomplexifiées, mises en perspectives.
Générer un mouvement d’engagement
Les défis à relever sont ambitieux mais exaltants. Le tourisme autrefois inventé pour découvrir d’autres cultures en se formant soi-même (le fameux Grand Tour) était devenu une industrie de masse déconnectant les producteurs des lieux d’accueil, n’incluant que peu la population. Aujourd’hui les destinations urbaines repensent la ville et l’intégration du tourisme pour que toutes les parties prenantes trouvent un bénéfice dans ce changement. Le capital économique ne peut plus aujourd’hui occulter le capital social et le capital naturel. L’équation entre ces trois capitaux doit se rééquilibrer et devenir une façon durable et sincère (sans greenwashing) d’envisager le développement.
Cela signifie-t-il que le tourisme de masse est devenu un ennemi à combattre ? Qu’il faut empêcher aux touristes de venir en avion car leur impact carbone est trop important ? Paris par exemple ne souhaite pas faire une croix sur la venue des touristes américains qui représentent son premier marché étranger. Et la croissance du tourisme aujourd’hui va se poursuivre dans le monde, de nouveaux pays accédant à suffisamment de ressources pour voyager. Les destinations vont apprendre à projeter l’image qui correspond le mieux à leur ville et aux clientèles qu’elles souhaitent recevoir, sans pour autant fermer les portes de « l’ancien monde ». Le chemin qui se présente à nous aujourd’hui est de (re)trouver un équilibre entre les hôtes de passage et les habitants. Et ce chemin est sans aucun doute le seul possible si l’on ne veut pas vider nos villes de leurs habitants tout en poursuivant un développement touristique.
Se fixer des objectifs, mesurer sa progression, responsabiliser les agents et afficher la transparence de ses actions sont les composantes principales de la méthode à appliquer pour changer. Elle positionne la collecte et l’analyse de données au coeur de l’engagement en valorisant la notion de progrès.
L’avenir nous dira si les évolutions conjointes des acteurs du tourisme arriveront à faire d’un comparateur d’impact carbone un outil incontournable dans la décision du consommateur en termes de destination, au même titre qu’un comparateur de prix. Mais ce qui est certain c’est que les villes changent et accompagnent cette prise de conscience et n’attendent que le Tourisme pour la mettre en avant.
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Cahier tendances #6
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