[Article Expert] Réinventer la ville pendant la pandémie
Réinventer la ville pendant la pandémie avec Claudine Barry - Analyste au Réseau de veille de la Chaire de tourisme Transat de l’ESG UQAM
La crise crée bien des drames, mais aussi certaines opportunités. Le virus nous aura permis de revenir à l’essentiel.
De penser à un nouveau départ. La ville a été libérée du trafic automobile, d’une grande part de sa pollution atmosphérique, mais également de sa foule qui la rend si dynamique, si vibrante.
La crainte d’une seconde vague ou même qu’une situation similaire se reproduise dans quelques années demeure bien présente. Cette pandémie crée une cassure avec le passé et ouvre une fenêtre sur l’avenir en matière de développement urbain durable.
L’urbanisme tactique à la rescousse
Pour permettre des déplacements sécurisés et la fréquentation des commerces locaux, plusieurs initiatives ont vu le jour : piétonisation, nouvelles voies cyclables, zones de rencontre et terrasses sur les trottoirs et les places publiques. Dans un contexte normal, ce type de projets affronte de la résistance, nécessite du temps, des dialogues, des compromis, l’approbation des élus et de la collectivité, etc. Mais avec la crise, il a fallu faire vite, adapter pour sécuriser. Comme les habitudes de la plupart des gens ont été bouleversées, leur état d’esprit est probablement plus ouvert, plus disposé aux changements.
Les milieux de vie doivent ainsi être ajustés de façon temporaire pour simplifier le quotidien des citoyens et des entreprises, et ce, dans trois grands secteurs : la mobilité, la relance économique et les loisirs. Pour ce faire, les autorités municipales font preuve d’imagination. Elles ont recours aux méthodes de l’urbanisme tactique, qui consiste normalement en « des aménagements temporaires qui utilisent du mobilier facile à installer (et à désinstaller) pour démontrer les changements possibles à l’aménagement d’une rue, d’une intersection ou d’un espace public. On peut ainsi montrer comment l’aménagement peut influencer le comportement des usagers. » (Définition élaborée par le Centre d’écologie urbaine de Montréal.)
Faire de la ville une grande terrasse : Vilnius lance le bal
Durement affectés par la crise, les restaurants et les cafés rouvrent à la condition de respecter les mesures de distanciation physique. La plupart des établissements ne disposent pas de la place nécessaire pour rentabiliser un tel aménagement. À Vilnius, en Lituanie, les autorités ont rapidement pallié ce problème en permettant aux restaurateurs et aux exploitants de cafés d’installer des tables sur les espaces publics à proximité de leur commerce, de même que dans certaines rues. De nombreux autres milieux urbains à travers le monde emboîtent le pas. Qu’il s’agisse de centres-villes de métropoles comme de rues principales de petites municipalités rurales, le partage de la voie publique avec les commerçants se répand pour l’été 2020.
Revoir la vocation des rues
La Ville d’Oakland en Californie est l’une des premières aux États-Unis à mettre en place des mesures concrètes en transformant quelque 120 km de rues (près de 10 % de son réseau routier) en voies pour les piétons, les cyclistes et les personnes en fauteuil roulant. New York, Seattle, Paris, Londres créent des zones interdites aux véhicules automobiles dans leur centre-ville ; Berlin,
Milan et Bogota aménagent rapidement de nouvelles pistes cyclables.
À Bruxelles, le secteur du centre-ville nommé le Pentagone devient provisoirement un lieu de rencontres, soit un quartier où les piétons et les cyclistes ont la priorité sur toute la largeur de la voie publique. Les automobiles peuvent y circuler, à une vitesse maximale de 20 km/h.
À Montréal, au Québec, la création d’un vaste réseau temporaire de voies actives sécuritaires s’ajoute aux infrastructures permanentes qui étaient déjà prévues pour l’été 2020. En tout, 327 kilomètres de nouvelles voies piétonnes et cyclables bonifient le réseau déjà en place.
Les tendances en développement urbain accélérées par la crise
La firme Euromonitor International estime que la pandémie aura des impacts permanents sur la vie en ville, et ce, dans quatre secteurs : la mobilité, le design urbain, le cadre bâti et l’autosuffisance. En effet, en plus des voies publiques pour le transport actif, on observe déjà une multiplication de projets où l’on envisage plus sérieusement les développements en matière : de grands parcs et d’espaces verts ; de construction et d’architecture durable ; d’agriculture urbaine et de production locale de biens essentiels.
Les technologies numériques pourraient également contribuer à une meilleure gestion des déplacements, au respect d’une certaine distance entre les individus ou même à détecter des personnes risquant d’être contaminées. Cette dernière possibilité pose toutefois des questionnements d’un point de vue éthique et de respect de la vie privée. Mais la notion de ville intelligente et du recours aux données massives s’inscrit assurément dans les mesures à mettre en avant dans un proche avenir pour mieux outiller les autorités sur la gestion des flux (de personnes et d’automobiles).
Pour un tourisme urbain responsable et durable
Les villes fortement sollicitées sur le plan touristique jusqu’à récemment connaissent une accalmie inespérée depuis la mimars. C’est notamment le cas de Venise et d’Amsterdam. Les populations locales se réapproprient les lieux. Des mouvements de résidents souhaitent éviter de retomber dans le piège d’une mauvaise gestion des flux touristiques en déployant des stratégies plus restrictives et sélectives, au bénéfice des citoyens, mais aussi pour des expériences en harmonie avec le milieu d’accueil.
La pandémie de la Covid-19 aura démontré que les villes peuvent s’adapter rapidement et doivent mieux se préparer pour l’avenir. Le tourisme urbain fait partie des grandes tendances du 21e siècle. Il sera certainement abordé différemment au cours des prochains mois, voire des prochaines années. Une « nouvelle normalité » se dessine.
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