L'intelligence artificielle, une adolescente précoce

L’intelligence artificielle (IA) repré­sente aujourd’hui bien plus qu’un gadget pour le secteur du tourisme et va impacter durablement l’expé­rience touristique à chaque étape du voyage comme l’a souligné Barry Dil­ler, chairman d’Expedia en avril 2016 ? « Nous avons construit pendant les 15 dernières années les systèmes de distribution pour mieux servir nos clients, le smartphone étant la dernière pièce de ce puzzle. Dé­sormais nous devons construire sur ces fondations pour constamment améliorer nos services grâce au ma­chine learning et à l’intelligence ar­tificielle ».

Si une intelligence artificielle « gé­nérale» n’est pas encore à l’ordre du jour (« il faudra plusieurs décennies pour que les machines puissent at­teindre un niveau d’intelligence gé­nérale comparable à celui des hu­mains. - Yann Le Cun directeur recherche Facebook»), les machines sont déjà très efficaces pour reproduire une partie des capacités humaines : en­tendre, voir et apprendre.

Entendre : La reconnaissance vocale de Google atteint désormais + de 90% de précision, ce qui ouvre enfin la voix à des interfaces vocales plus efficaces que les premières versions de Siri/Google Now. iLi propose par exemple un objet connecté qui per­met de traduire instantanément ce que vous lui dites.

Voir : Les algorithmes d’analyse d’images Facebook peuvent décrire aux personnes aveugles le contenu des photos postées par leurs amis, ce qui montre notamment que Face­book peut, uniquement à partir de vos photos, dresser un profil détaillé des lieux/activités que vous avez ai­més (avec vos amis, en couple, avec vos enfants etc…).

Apprendre : AlphaGo, le programme de Google qui a défrayé la chronique en battant un des meilleurs joueurs de GO du monde a utilisé l’appren­tissage par renforcement (reinforcement learning) en jouant des milliers de parties contre lui-même pour s’améliorer. Ces mêmes méthodes d’apprentissage peuvent être appli­quées pour apprendre à une ma­chine à construire avec le temps, l’expérience touristique idéale en dialoguant avec des millions d’utili­sateurs.

Ces progrès récents sont rendus possible par :

- L’explosion des données labellisées disponibles (ex : une photo de chat, accompagnée du label « chat ») pour permettre aux machines d’apprendre : des milliards d’images sont parta­gées et commentées chaque jour sur les réseaux sociaux ce qui permet aux algorithmes de s’entrainer sur des données réelles.

- La puissance de calcul de moins en moins coûteuse qui permet d’exécu­ter ces algorithmes sur des milliers d’ordinateurs/smartphones en pa­rallèle. C’est ce qui a remis au goût du jour des méthodes définies dans les années 80 mais qui étaient peu performantes, faute de puissance de calcul.

- Le développement de nouvelles techniques d’apprentissage, comme le deep learning (apprentissage pro­fond), le reinforcement learning (apprentissage par renforcement) et l’apprentissage non supervisé permettent de limiter l’intervention humaine pour « paramétrer » les al­gorithmes et ainsi accélérer les pro­grès.

Les acteurs du tourisme ont donc désormais à disposition des outils performants pour :

- Connaître et anticiper les attentes de leurs clients grâce aux capacités d’analyse de données (photos, textes, voix, historiques transactions…) et de prédiction des algorithmes d’In­telligence artificielle.

- Fluidifier les parcours clients en utilisant les machines pour gérer les tâches les plus administratives et le support client de premier niveau (changer de vol, check-in/out) grâce aux technologies de traitement du langage naturel.

- Personnaliser les expériences client grâce à l’intelligence artificielle em­barquée dans les smartphones qui permet de calculer en temps réel la bonne recommandation d’activité.

- Automatiser les tâches répétitives pour l’utilisateur ou pour le four­nisseur, les acteurs de l’industrie du tourisme sont aujourd’hui en me­sure d’exploiter toute la puissance et la robustesse de l’intelligence ar­tificielle pour automatiser une par­tie des taches liées à la gestion et la supervision.

Les initiatives dans le secteur sont aujourd’hui très disparates mais il­lustrent l’impact à venir de l’IA à chaque étape du voyage.

Analyser des milliers d’avis rédigés en langage naturel pour inspirer le voyageur

Booking utilise l’intelligence arti­ficielle, en particulier l’analyse de texte en langage naturel (NLP), pour permettre aux clients de rechercher des destinations en fonction de leurs « passions » grâce à l’exploitation des avis déposés sur le site.

En entrant dans la recherche de voyage par l’angle passion, Booking passe d’un focus « prix-avis » à un focus « plaisir – activités » pour aug­menter l’engagement des clients.

Cette expérimentation illustre la création d’une nouvelle expérience client grâce à l’exploitation de don­nées, auparavant sous-utilisées (textes non structurés).

Avec cependant encore quelques ratés, comme ce faux positif posté par un internaute et mis en avant par Booking pour vanter la tranquil­lité d’un lieu « It’s all so tranquil, it’s soporific ».

Dialoguer avec les tou­ristes pour les aider à préparer leurs voyages

En 2015, les français visitaient en moyenne 8 sites avant de prépa­rer un voyage, mettaient plus de 2h pour finaliser leur achat avec un processus qui s’étalait sur 55,6 jours (ClickstreamTravel France 2015). L’IA va changer la manière dont nous préparons nos voyages en rendant ce processus moins orienté sur la recherche du meilleur prix et plus orienté sur le dialogue et la person­nalisation de l’expérience.

Les applications de messagerie (Face­book Messenger, Skype, WeChat, Slack…) proposent désormais aux marques de dialoguer directement avec leurs utilisateurs grâce à des robots conversationnels (chatbots).

 

Un utilisateur peut maintenant ta­per ou énoncer directement dans sa messagerie « as-tu des idées de pays pour faire du kite-surf avec un budget réduit ?» et dialoguer avec un chatbot jusqu’à trouver l’offre qui lui convient.

KLM et Westin ont déjà lancé leurs chatbots, respectivement sur Face­book Messenger et Skype. Mais nul doute que 2016 verra de nombreux acteurs du secteur envahir ce nou­veau canal de communication, parti­culièrement actif chez les millenials.

Pour être efficace, ces chatbots de­vront utiliser l’IA pour comprendre le sens des demandes, trouver l’offre adaptée parmi les millions de choix possibles et répondre aux clients dans un langage proche d’un humain.

Les premières expériences dans le domaine sont assez décevantes, mais les capacités d’apprentissage de l’IA permettront d’apprendre de ces pre­miers échanges pour arriver d’ici 5 ans à faire sans doute de ce mode de recherche (conversation avec un ro­bot aidé d’un humain si besoin) l’acte naturel de préparation du voyage.

Assister le touriste tout au long de son voyage grâce à l’analyse des données comportemen­tales

La recommandation est le domaine de l’intelligence artificielle le plus mature avec des années d’expéri­mentations (médias, publicité et shopping en particulier).

Ce qui change aujourd’hui, c’est la performance de ces algorithmes qui sont désormais capable de traiter en temps réel des données individuelles variées pour proposer des recom­mandations hyper-personnalisées.

Le champ d’application au tourisme le plus évident est la recommanda­tion d‘activités pendant le voyage.

Encore en version bêta, Google s’ap­prête à sortir son assistant voyage, Google Trips, qui va regrouper en un seul endroit, toutes les informations dont l’utilisateur a besoin pour son voyage : réservations, emails, alertes agenda, lieux à visiter, restaurants, shopping…

Le pari de Google est simple, de plus en plus de réservations sont accom­pagnées par un email de confirma­tion.

En scannant les emails, Google peut reconstruire automatiquement toute la chaine du voyage, du vol à l’hôtel en passant par les activités sur place.

En utilisant les données comporte­mentales (navigation internet, usage d’applications, historique de voyage etc…) Google peut ensuite utili­ser ses algorithmes d’IA pour vous proposer parmi toutes les activités disponibles, celles qui vous corres­pondent le mieux («Things to do / for you »).

Ce n’est pas le premier essai de Goo­gle dans le domaine (Google Flights n’a pas eu le succès escompté par exemple), mais il remplit cette fois-ci un vide laissé par les acteurs du tourisme, peu présents dans la re­commandation d ‘activités on-trip, et qui vont désormais devoir utiliser eux aussi l’IA pour lutter avec Google pour l’attention du touriste pendant son voyage.

Fluidifier l’accueil des touristes grâce à la robotique et l’IA

Hilton expérimente l’utilisation de ro­bots intelligents pour améliorer l’ac­cueil de ses clients. Le robot, conçu par l’entreprise française Aldebaran s’appuie sur la technologie d’intelli­gence artificielle d’IBM « Watson » qui lui permet de comprendre les ques­tions posées par les clients, d’identi­fier des émotions basiques en fonc­tion du ton de la voix et du visage, de répondre aux questions basiques liées à l’hôtel et de faire des recom­mandations d’activités.

Hilton se donne 3 objectifs avec ce projet : diminuer le temps d’attente des clients qui veulent simplement poser une question, surprendre le client avec ce saut dans le futur et permettre à ses agents d’accueil de se focaliser sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.

A ce stade, il est difficile de voir si les robots apportent une valeur ajoutée forte par rapport à une interface plus classique et moins coûteuse (écran, smartphone, être humain !) mais nul doute que la technologie permettant de comprendre les demandes des clients exprimées en langage naturel pourra être réutilisée pour d’autres applications.

Toujours dans l’optique d’améliorer l’accueil des touristes, Qyur, une entreprise de la Silicon Valley, met a profit les capacités de reconnais­sance d’image et d’apprentissage de l’intelligence artificielle pour auto­matiser le processus de contrôle des bagages dans les lieux publics (aéro­port/stades).

Si les algorithmes décident que le ba­gage est suspect, un agent intervient et contrôle manuellement le bagage. La machine permet donc à l’agent de se concentrer sur les cas nécessitant vraiment son expertise tout en amé­liorant l’expérience des voyageurs qui est plus rapide et plus agréable pour la grande majorité des bagages non suspects.

Cette expérimentation illustre bien le mode de collaboration humain/ma­chine amené à se développer avec l’essor des technologies d’IA.

Enfin en matière d’intelligence arti­ficielle, le domaine du voyage pro­fessionnel n’est pas en reste, avec notamment le développement algo­rithmes permettant d’ajuster auto­matiquement les politiques tarifaires en fonction des résultats de l’entre­prise ou encore la création d’assis­tants dédiés comme PathTravel ou l’application CWT To Go de Carlson Wagonlit.

Comme ces expérimentations l’il­lustrent, l’enjeu aujourd’hui pour les acteurs du secteur du voyage est d’ajouter une dose d’intelligence ar­tificielle à chaque interaction client et au-dessus de chaque entrepôt de données pour gagner en efficacité et en « émerveillement ».

Nous identifions à ce stade 4 facteurs clés de succès pour vos expérimenta­tions sur l’IA :

- La tendance actuelle n’est pas au remplacement de l’humain par des machines mais plutôt à la création de relations homme-machine qui per­mettent de concentrer l’humain sur la gestion des situations nécessitant une expertise et laisser les machines traiter les demandes standard et analyser massivement les données. Intégrer un processus de contrôle / échange humain-IA dans vos expé­rimentations permet de limiter les risques et d’apprendre plus rapide­ment ce que l’IA peut vous apporter.

- La performance des algorithmes s’améliore avec le temps grâce aux feedbacks reçus par les utilisateurs, il est crucial d’intégrer à chaque ex­périmentation une boucle de fee­dback automatisée pour permettre aux algorithmes d’évaluer la qualité de leurs recommandations.

- La confiance et le respect de la vie privée sont des enjeux clés lorsqu’on aborde la question de la personnali­sation. L’usage de ces données doit donc se faire en toute transparence, avec une valeur ajoutée claire, et vi­sible pour l’utilisateur.

- La co-création Spécialiste IA / Spé­cialiste Tourisme est à privilégier pour mener à bien, et rapidement, ces projets d’IA (cf. Hilton/IBM, Face­book/KLM). Heureusement pour les acteurs du secteur, l’écosystème autour de l’IA en France est l’un des plus riches au monde avec quelques champions reconnus internationa­lement (Aldebaran, Critéo…) et de nombreuses startups.

En synthèse :

L’IA peut rendre chaque étape de l’expérience touristique plus efficace et plus pertinente pour les clients => les leaders du secteur s’en emparent pour gagner un avantage compétitif.

Vous pouvez rapidement expérimen­ter ces technologies en privilégiant les domaines de l’IA arrivés à matu­rité :

Mature : Recommandations, Per­sonnalisation, Reconnaissance d’image, Reconnaissance de texte, traduction de textes simples

A expérimenter : génération de contenu automatisée (texte + images), chatbots, Robotisation des tâches simple d’accueil, reconnais­sance des émotions (texte/image), traduction complexe en temps réel

R&D : Robotisation avancée, re­production des émotions humaines, apprentissage complètement auto­nome, algorithmes génétiques

A un horizon 5 à 10 ans, la généralis­tion des véhicules autonomes pose­ra de nouvelles questions, beaucoup plus liées à la morale (ex : comment une IA peut choisir entre heurter un animal ou légèrement blesser ses passagers ?)

A plus long-terme, l’arrivée d’une IA généralement plus intelligente qu’un humain sera sûrement l’équivalent « d’une météorite heurtant notre planète », pour reprendre l ‘expres­sion récemment utilisée par Barry Diller. Nous avons donc une ving­taine d’années pour nous y préparer !

Article rédigé par Teymour Daly et Ahmat Faki, fondateurs de Sensego